HUANG BINHONG et FU BAOSHI

HUANG BINHONG et FU BAOSHI
HUANG BINHONG et FU BAOSHI

Au XXe siècle, plusieurs peintres chinois ont entrepris de rompre avec une tradition qui leur était devenue hermétique ou avait cessé pour eux d’être pertinente; leur courage n’a pas encore été entièrement couronné de succès. D’autres, plus nombreux, s’accrochent au culte timoré d’une tradition qu’ils ne sont plus capables de comprendre ni d’animer. Huang Binhong par contre (la réussite d’artistes tels que Wu Changshi et Qi Baishi est d’une qualité semblable, mais s’est effectuée dans un registre malgré tout mineur) a su reprendre la succession des maîtres Qing, Ming, Yuan et Song; en complète communion avec les grands ancêtres du passé, il n’en possède pas moins son irréductible originalité, ayant réussi à concilier peinture chinoise (au sens spécifique du terme) et modernité.

Selon un axiome traditionnel, pour pouvoir peindre, « il faut d’abord avoir lu dix mille livres et voyagé dix mille lieues ». Huang Binhong a admirablement rempli cette double exigence d’érudition livresque et de contemplation de l’univers.

Cet effort de renouvellement d’une tradition, un autre artiste chinois l’a tenté: Fu Baoshi a su réinterpréter la peinture de son pays d’une manière remarquablement moderne et personnelle.

Un travailleur infatigable

La formation de peintre de Huang Binhong fut particulièrement favorisée par les circonstances; il eut la chance de naître dans une famille où l’on cultivait les lettres et les arts depuis plusieurs générations, et, dès son plus jeune âge, il entra en contact avec les chefs-d’œuvre du passé sous la direction de bons maîtres. Sa remarquable longévité lui permit de donner un exceptionnel développement à son génie. Enfin, il se trouva très bien armé pour aborder d’un cœur ferme les crises de la civilisation chinoise contemporaine: né en 1864, c’est en homme complètement mûr et formé qu’il traversa les divers bouleversements spirituels, sociaux et politiques qui agitèrent la Chine du XXe siècle; les incertitudes et les faux pas des ses cadets lui furent ainsi épargnés; capable dans son art d’innovations audacieuses, celles-ci s’exercèrent toujours à l’intérieur d’un système de valeurs définitivement acquises, qu’il n’éprouva jamais le besoin de remettre en question; sur ce roc d’une tradition qui pour lui était encore vivante, il put bâtir l’une des œuvres les plus puissantes, les plus méditées et les plus originales de ce premier demi-siècle; fût-il né deux décennies plus tard, ce support lui aurait fait défaut, et il aurait été obligé de choisir entre les tâtonnements de la révolution et l’hypocrisie du conservatisme. Mais son mérite est d’avoir su se mettre lui-même à la hauteur de son destin privilégié et tirer parti de tous ses dons en gouvernant son effort avec une rigueur obstinée. D’autres, qui n’étaient peut-être pas moins doués au départ, n’ont guère créé, faute d’une pareille constance.

Le secret de cette puissance de création unique, qu’il ne révéla pleinement que dans ses vieux jours, réside en ce qu’il fut capable de marier génie et labeur. Il a peint inlassablement, tous les jours de sa vie, depuis l’âge de six ans jusqu’aux tout derniers mois de son existence. Rendu momentanément aveugle à l’âge de quatre-vingt-neuf ans, d’instinct il continuait encore à peindre. Et après qu’une opération lui eut rendu une vision partielle, il produisit des œuvres toujours plus âpres, vigoureuses et neuves. Dans son effort soutenu de près d’un siècle, il n’a pas un instant dévié de sa route; ignorant les sollicitations du public et les variations de la mode, insoucieux de plaire et indifférent à la notoriété (les honneurs officiels ne lui sont venus qu’à la fin de sa vie, après la Libération), il a obstinément approfondi sa propre voie. Jusqu’à l’âge de soixante-dix ans environ, il ne fit en réalité que forger ses outils; les œuvres élaborées durant sa longue et lente période de formation ne faisaient guère pressentir l’extraordinaire explosion créatrice des vingt dernières années de sa vie; elles ne prennent leur sens qu’en fonction de cet ultime épanouissement dont elles constituaient l’ingrate et nécessaire préparation. A posteriori, il est possible d’y reconnaître ces vertus fondamentales d’intelligence, de culture, de discipline et d’intériorité qui devaient ensuite assurer aux audaces des peintures de la vieillesse leur plénitude et leur inébranlable armature. Mais si Huang était mort septuagénaire, sans doute la postérité n’aurait-elle retenu de lui que le souvenir du professeur (il enseigna toute sa vie durant dans diverses écoles des Beaux-Arts, au Anhui, à Shanghai, à Pékin et à Hangzhou, du théoricien (il a publié plusieurs essais sur la théorie esthétique, l’histoire et la technique de la peinture chinoise), du connaisseur (il s’occupa de l’identification et du classement des œuvres de l’ancienne collection impériale à Pékin) et de l’éditeur érudit de la monumentale anthologie des écrits classiques sur les arts (Meishu congshu , 120 fascicules, Shanghai, 1911).

La maîtrise des règles

Le secret de son itinéraire artistique tient dans une formule qu’il a énoncée lui-même: « Au commencement, la peinture doit posséder les règles; à son aboutissement, elle doit les supprimer. Au commencement, la peinture doit s’efforcer d’être ressemblante; à son aboutissement, elle doit effacer toute ressemblance. » À quoi il faut ajouter une de ses citations favorites: « À l’extérieur, je me fais l’élève du Créateur; en moi, je capte la source de mon cœur. » La maîtrise des règles, il l’a conquise d’abord en copiant et étudiant les Anciens pendant plusieurs dizaines d’années; ses admirations étaient éclectiques, et il refusait de se limiter à une période ou à une école en particulier. À force de copier les œuvres classiques, il avait développé une remarquable aptitude à les transposer dans un idiome personnel tout en saisissant leur essence propre; en quelques traits dont le graphisme très libre semblait s’affranchir de son modèle, il restituait le rythme et l’architecture interne de celui-ci. Il exerçait cette même faculté devant la nature: voyageur infatigable (de 1930 à 1935, il effectua une série de périples à travers la Chine entière, visitant tous les plus beaux sites naturels), la seule vue de certains profils de montagnes le plongeait – au témoignage d’un de ses élèves – dans une sorte d’état extatique. Il a exécuté sur le motif des milliers de croquis, où les grands rythmes telluriques se décantent en un graphisme linéaire pour devenir pure intelligence; une splendide collection de ces « abstractions d’après nature » est conservée au Qixialing, l’ancienne résidence du peintre, près de Hangzhou, qui a été transformée en un petit musée dédié à sa mémoire. La communion avec la nature devient si étroite que, à la limite, la nature cesse d’être un spectacle regardé par le peintre et vient se confondre avec la force intérieure qui meut son pinceau; il n’y a plus de montagnes ni d’arbres ni de rochers, mais seulement des taches et des griffes; plus de brumes ni de rivières, mais seulement une sinueuse respiration d’espaces blancs qui viennent animer la complexe et sombre masse des encrages: le chaos plastique s’organise sur les mêmes rythmes et selon la même intelligence que le chaos de l’univers. Au terme de son long apprentissage, le peintre peut oublier tout ce qu’il a appris: face à la création, la pleine possession des règles le libère des règles. Les analogies que ses peintures peuvent présenter avec telles ou telles œuvres du passé (on pense parfois à Fu Shan ou à Kuncan) sont le fruit de coïncidences plutôt que d’influences directes, car cette peinture, exclusivement nourrie du génie traditionnel, est aussi d’une nouveauté radicale.

Un peintre-lettré des temps modernes

Fu Baoshi est né au Jiangxi en 1904; après un séjour d’études au Japon (École impériale des beaux-arts), il est nommé en 1935 professeur de la section des beaux-arts de l’Université centrale à Nankin et appartient à diverses commissions artistiques du ministère de l’Éducation. Il passe la guerre au Sichuan et reprend en 1946 son enseignement à Nankin; après la Libération (1949), il est nommé directeur de l’Académie provinciale (peinture traditionnelle) du Jiangsu à Nankin et devient vice-président de l’Association chinoise des artistes et président de la branche provinciale (Jiangsu) de cette même association. Dans les années cinquante, en compagnie d’un groupe d’artistes, il voyage à travers la Chine entière, peignant sur le motif. En 1957, il visite la Tchécoslovaquie et la Roumanie. Il meurt à Nankin en 1965.

Le détour japonais, paradoxal pour un artiste qui disposait de meilleurs modèles dans son propre pays, ne fut sans doute pas inutile, car il permit à Fu Baoshi, comme à plusieurs autres peintres chinois contemporains, de prendre une distance féconde par rapport à sa tradition originelle et ainsi d’en assumer de manière vivante ce qui convenait le mieux à son génie individuel. Les deux genres principalement cultivés par Fu Baoshi sont le paysage et les figures; pour le paysage, sa vision a été stimulée par la leçon de Shitao. Dans ses peintures de figures, il se veut l’héritier des maîtres Tang; il a fait son profit également des personnages « à l’encre éclaboussée » des adeptes du Chan, tel Liang Kai, mais surtout il se montre influencé par la subtile excentricité et la noblesse ironique de Chen Hongshou.

Fu Baoshi est à l’époque moderne le plus parfait exemple du « peintre-lettré », pour qui le métier importe moins que la qualité spirituelle et poétique de l’inspiration. Sa technique n’est pas des plus fermes, mais il tire parti avec habileté de ses faiblesses mêmes; pour compenser un trait qui manque d’ossature, il s’est inventé un langage original: avec un pinceau astucieusement ébouriffé, il effleure le papier d’un geste oblique, abandonnant l’instrument à son propre caprice. Dans les petits formats où triomphe la spontanéité, les carences de structure et les maniérismes de facture sont amplement rachetés par une mise en page insolite et par l’audace d’un lavis très liquide. La production de Fu Baoshi est fantasque et présente de déconcertantes inégalités; à ses moments de faiblesse, il peut être franchement mauvais, mais dans ses heures inspirées, sa sensibilité, sa culture, son humour même lui donnent accès à cet univers supérieur de la poésie auquel le seul métier technique ne saurait parvenir. Fu Baoshi pratiqua également la gravure de sceaux. De plus, chez lui, l’artiste se doublait d’un savant: il a laissé plusieurs ouvrages théoriques et historiques (dont une étude sur la chronologie de Shitao qui, malgré certaines erreurs, reste un travail fondamental) et de nombreux articles.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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